N'est-elle pas plus morale
l'union libre de deux amants
qui s'aiment,
que l'union légitime
de deux êtres sans amour ?
Georges Feydeau
Chaque jour je me pose la même question : « pourquoi maman s'est-elle acharnée sur nous de cette façon ?». Elle m'adore, elle donnerait sa vie pour moi, elle ne veut que mon bonheur. Ce n'est donc pas sans raison qu'elle m'a rendue si malheureuse. Quels défauts avait elle bien pu déceler en toi... Elle n'a cessé d'évoquer ton âge qui dans quelques années se ferait plus ressentir, ta vie passée, ces neufs années de différence qui faisaient de toi un homme mûr, moi je ne les considérais pas comme un handicap, je n'y pensais même pas. Personne ne les remarquait d'ailleurs. Tu ne faisais pas du tout ton âge. Dans quelques années, ce serait peut être différent mais quand on s'aime, même le temps ne peut rien.
Et maman a découvert que toi et moi nous avions dépassé le stade de la petite amourette et que nous étions passés « à l'acte ». Cette fois, ce fut vraiment le début de la fin. Nous avons été traités comme des délinquants, comme si le fait d'avoir fait l'amour tous les deux faisait de nous des criminels. « C'est un salaup jamais je ne lui pardonnerai d'avoir sali ma fille ! » et nous étions au vingtième siècle. Je n'étais plus qu'une traînée, un paillasson. J'avais dix-neuf ans. J'avais commis l'inexcusable, l'impardonnable.
Quand tu es arrivé à la maison ce jour là, tu t'es assis dans la cuisine à côté de moi, tu as serré ma main dans la tienne. Tu as écouté sans broncher, sans chercher d'excuses, silencieux, calme. J'avais l'impression que tu allais briser mes doigts. « Pourquoi t'as fait ça à ma fille Sébastien, j'avais confiance en toi. Tu m'avais promis ! »
Maman débita des horreurs pendant deux heures. Nous attendions la sentence finale qui ne tarderait pas à conclure l'affaire. Elle fut à la hauteur de nos espérances. Mes parents exigeaient que nous restions six mois sans nous voir. Sans se parler, se téléphoner, s'écrire. Six mois pour faire le point, réfléchir à nos sentiments. Je me suis effondrée et je t'ai senti fléchir également sous le poids du fardeau. Ils n'avaient pas le droit de nous séparer comme ça. Tu me serrais contre toi. Tu essayais de calmer mes sanglots, tu caressais mes cheveux. « La sentence n'est pas si terrible, il faut vous estimer heureux ! » déclara mon père. J'avais envie de hurler. « Et après ces six mois ? » osas-tu demander. « Vous serez libres de vous fréquenter si vous en avez encore envie. » Mes yeux me faisaient mal à force de pleurer, mes cheveux collaient à mes joues. Quand je repense à cette soirée, quand je revois ton air abattu, ce sourire ironique sur tes lèvres, tes yeux embués, tu ressemblais au taureau auquel le picador assène le coup de grâce.
Et tu as laissé parler ton cœur. Tu m'as regardé dans les yeux. « Nathalie, on va attendre, je ne vais pas te lâcher, te laisser tomber. Toi tu sais que je ne t'ai pas menti, je t'aime c'est tout. Après tout ce qu'on a enduré on ne va pas se séparer bêtement. Il faut continuer à se battre, leur prouver qu'ils ont tort de s'acharner sur nous » Le plus grotesque de la situation fut quand maman déclara « ça me fait autant de peine qu'à vous !' ». Je t'ai donc raccompagné à ta voiture, il ne fallait pas céder au chantage me disais tu. Quand ta voiture eut disparu au bout du chemin j'eus envie de me laisser glisser à terre, envie de mourir là... Le vent soufflait fort, fouettait mon visage, me coupait le souffle. J'aurais voulu qu'il m'enlève, m'emporte loin de là. Ne plus penser, ne plus chercher à savoir le bien, le mal, la raison, la morale, ne plus être jugée. Je me sentais brusquement si seule. Je t'avais peut être perdu à jamais.
Après cette cruelle soirée, nous ne nous sommes pas revus pendant deux longues semaines. J'errais dans la maison, le jardin, tu étais loin de moi. Tu me manquais terriblement. Tu me disais au téléphone « 'Ma vie est fichue, ce n'est pas à trente ans que je vais recommencer à zéro. Deux échecs ça me suffit. Il n'y en aura pas de troisième. Et tout ça à cause de ta mère. On ne se sépare pas parce qu'on ne s'aime plus, mais parce que ta mère ne m'accepte pas. C'est pas juste. Je ne peux pas l'avaler. On s'aime, oui on a couché ensemble, mais on n'a pas commis un crime quand même ! » Ces conversations téléphoniques m'épuisaient moralement.
Une mesure de clémence nous fut accordée. Nous avons eu la possibilité tout de même de nous revoir le week end à la maison, mais jamais seuls. Les séparations, les retrouvailles, nous en avions eu notre dose. Et maman finit par gagner... De mois en mois, épuisés... ce fut la fin de la romance... Déchirée... je fis connaissance avec l'enfer... Tout était définitivement terminé.
Et vingt ans ont passé. Balavoine disait dans une de ses chansons « ne pas croire que l'amour est ce qu'il y a de plus fort car la vie bouge encore quand un amour est mort » Et c'est vrai. La vie continue. Il a fallu continuer de travailler, de vivre, recommencer à rire...essayer d'oublier...
Nous avions été attirés comme deux aimants. Cela avait duré trois ans... Une histoire en dents de scie, entre bonheur et souffrance. Nous étions comme dans un état d'hypnose, car l'amour rend aveugle, ce doit être vrai. Aujourd'hui tout recommence, dans le domaine virtuel. La passion renaît de ses cendres. Comme par le passé on vit l'un pour l'autre, l'un à travers l'autre, cette dépendance entraîne la souffrance, car l'absence est ressentie comme un manque épouvantable. On est là, devant un clavier, un écran, on a envie d'être l'un près de l'autre, mais il n'y a rien. Que le poids des mots sur la page blanche...
Les semaines ont passé, les mois, les années. Mais je t'ai toujours gardé dans mon cœur. Chaque 29 juin je pensais, « c'est son anniversaire ». La vie a continué.
Quand j'ai eu la conviction que tu m'avais rayé de ta vie définitivement, j'ai eu des aventures sans lendemains... ça durait un mois, deux mois et j'y mettais fin. J'étais malheureuse, je voulais une copie conforme à l'original, mais je ne l'ai jamais trouvé !!! J'ai écrit pas mal de poèmes bien noirs à cette époque, je te les ai joints à la fin de ce récit. J'aimerais bien que tu les lises... J'étais malheureuse tu sais. Je t'avais perdu et j'en étais consciente. Il y avait eu l'intervention de mes parents, soldée par un échec et puis ce Noël où je ne sais pas pourquoi, j'étais persuadée que tu viendrais.. J'avais mis la table, ton assiette, ton cadeau sous le sapin et je t'ai attendu désespérément. D'après ce que j'ai compris, tu étais malade. Mais je l'ignorais. Après ça il y a eu une période où je te détestais. Et tu m'as passé ce malheureux coup de fil durant ce laps de temps où je me disais que finalement, maman avait raison : « Tu ne m'aimais pas tant que ça. » Ca n'a pas duré tu sais. On ne peut pas se mentir, se voiler la face longtemps. C'est vrai que ce jour là, tu m'as appelé au boulot, et je t'ai crucifié. Je m'en rappelle très bien. Je voulais te faire mal comme j'avais eu mal tous ces mois sans toi. J'ignorais que tu avais été bien bas toi aussi... Tout s'est enchaîné contre nous... Vingt ans ont passé et je t'avoue que la chronologie des faits est parfois floue. Mais j'ai le souvenir d'un autre coup de téléphone où tu m'as dit « c'est fini Nathalie, j'ai quelqu'un »...
Lundi 23 avril – Je m'aperçois que tous nos poèmes sont toujours d'actualité c'est fantastique. Rappelle-toi :
Quatre cent kilomètres nous séparent
nos coeurs saignent dans le noir
Pourtant je sens ton souffle sur moi
As-tu dormi cettenuit dans mes bras ?
Dans le long sillage des voiles de la nuit
Je m'envole vers toi
couchée sur les nuages qui coulent sans bruit
dans le ciel, jusquechez toi
Guidée par des songes de plus en plus troublants
troublée par un désir qui sans cesse me ronge
Je viens à toi doucement
et comme un aimant tu m'attires tendrement
Seul dans ton lit froid tu te retournes sans cesse
Rejetant les draps tu serres dans tes bras
Avec la force de ta détresse
quelqu'un que tu n'as pas
et puis il y a eu l'après nous...
Etoiles filantes
que mes yeux croisent au Firmament
vos lumières intenses
ne sont pas aussi vives et percutantes
que cette douleur dans moncoeurmourant
causée par ton absence...
Même si tu renies tout
ce qui nous a unis
Je suis là
Tout près de toi
Dans chacun de tes rêves
un baiser sur tes lèvres
un frisson de fièvre
Je reste là
Je sais que tu n'oublies pas !
Une caresse fantôme
qui me réveille en sursaut
un sourire sur une photo
qui me fait mal
le vent dans mes cheveux
qui me bouleverse
Le vent
qui me rappelle ta tendresse »
«Je vais me coucher, je te couvre de baisers, je t'aime aussi fort 20 ans après , prend soin de toi. On se voit le 2 juin. J'ai adoré ton mail. Bisou Bébé.»
Jeudi 26 avril– « Petit oiseau blessé
Je ne peux malheureusement te protéger que par mes pensées.
Se revoir pour se consoler et repartir dans nos contrées
Je pense à toi chaque jour qui passe mais la réalité nous casse
Malgré nos efforts il faut continuer à être forts
Ne pas s'oublier et continuer à lutter
Difficile d'aimer l' « amour séparé »
Je t'envoie de tendres baisers, amers et sucrés. Seb
« le poète revient à la vie ??? c'est très joli...merci... se voir ? ne pas se voir ? s'aimer ? ne plus s'aimer ?amour ou amitié? oublier le passé, regarder l'avenir ? mais je ne veux plus d'un avenir sans toi... dur ! c'est à avoir la migraine !!! C'est vrai que même si on se voit une fois... deux fois... ça s'arrêtera là... tu ne pourras pas monter souvent... est-ce que ce ne sera pas plus dur après ? Mais ne pas se voir... c'est... enfin ! bref ! tu imagines !»
« Se voir ou ne pas se voir, c'est vrai c'est un dilemme. Comment sera-t-on après ? Voila ce que je te propose. On va se donner rendez-vous. C'est sur cela va nous faire bizarre. On va s'observer se regarder, discuter. On veut savoir comment l'on va mutuellement mais je ne fais pas de plan. Passé l'émotion si on y arrive, on décidera ensemble d'où on va se balader. J'ai envie que ce soit le plus naturellement du monde. Est -ce qu'on va se faire la bise comme deux vieux copains ? . Est ce qu'on va s'embrasser comme des fous ? je n'en sais rien. Le temps nous a détruit même si les sentiments restent. J'ai envie de laisser venir les choses à nous mais c'est peut-être tout le contraire qui se passera. On sera peut-être barjot d'étreintes mais essayons quand même de nous retrouver avec le calme de latendresse. J'essaie de me et de nous raisonner Nath, j'essaie, c'est pas facile. Je ne fais pas le malin. Te revoir ne me fait pas peur. C'est l' « après » que je crains le plus- Je t'embrasse , te couvre de câlins pour la nuit. Je voudrais t'apaiser Nath. Essaie de dormir calmement. Seb qui pense à toi. »
Ce mois d'avril fut un mois bouleversant. Une multitude de mails échangés tous les jours. Les souvenirs, les regrets, les remords, tout le passé qui était à nouveau brassé par chacun de nous. Le souhait de plus en plus fort de nous revoir au moins une fois.
Nous étions vraiment très perturbés. Nous nous sommes même fâchés une première fois. J'avais vraiment eu du mal à comprendre que tu aies parlé de nos retrouvailles à ta femme mais c'était fait de toutes façons et tu n'appréciais pas quand je critiquais tes agissements. Mais comment comprendre qu'une épouse qui aime son mari puisse accepter que celui-ci renoue avec son premier amour. Je me mettais à la place de Lyne et franchement j'avais du mal. Elle allait vite te mettre au pied du mur et carrément mettre fin à ce qui était pour elle une farce grotesque. Tu m'as assuré à maintes reprises que Lyne et toi c'était « spécial ». Elle connaît tout de ton passé, de nous, il n'y a pas de soucis à avoir. Lyne t'avait même dit un jour « je préfèrerais encore te partager plutôt que te perdre ». Franchement ça me dépassait.
Personne à part toi ne m'a jamais dit autant de mots d'amour, de poèmes, de je t'aime... Mes regrets me déchiraient, c'était invivable pour toi et invivable pour moi. Il fallait qu'on se voit. J'avais envie de partager ma vie de tous les jours avec toi mais parfois tes remarques me crucifiaient : « ne cherche pas à récupérer le temps perdu » m'as-tu écrit. J'ai trouvé cela très dûr. On n'avait pas la même approche vraisemblablement. Je souhaitais seulement partager avec toi un peu de ma vie de tous les jours, un peu de mes rêves, de mes jardins secrets... Comment veux-tu rattraper vingt années perdues...
Vendredi 27 avril - SOS « Je n'ai pas de message, c'est pas normal. Qu'est-ce qui t'arrive ? Appelle-moi, je me fais un sang d'encre. J'espère que tu n'as pas de problème. Gros bisous »
« SOS ça me rappelle Balavoine et notre jeunesse ! !Bisous gamine. Seb»
« Cette après-midi je me disais qu'on n'avait pas eu de chance, qu'on n'en avait toujours pas et qu'on en aurait sûrement jamais. Pourquoi ? Eh bien quand bien même on choisirait de se revoir clandestinement tous les deux eh bien on ne pourrait même pas. Comme tu le dis si bien. 600 km pour se voir un après-midi tous les combien ? tous les mois ? les trimestres ? les semestres ? Ca y est je pète les plombs ! A plus tard. Nath »
Dimanche 29 avril « Nathalie, j'ai une vie différente de toi mais il ne faut pas croire qu'elle est extraordinaire. Nous avons notre train-train : boulot, métro , dodo comme tout le monde. Par contre j'ai changé. La vie, les événements , les blessures m'ont changé. Je ne fais pas partie du club des matchos mais ma profession m'a obligé à prendre des décisions, obligé de trancher, de m'affirmer. Je ne suis plus le timide que tu as connu et plus personne ne m'impressionne, en tout cas y'en a peu. En clair la vie m'a fait mûrir et j'ai compris qu'une femme a besoin d'une épaule solide qui tient la route. Un homme qui répond sans arrêt « c'est comme tu veux ma chérie » aura vite fait de lasser. S'il y avait une solution pour se voir régulièrement c'est sûr : je viendrais mais actuellement je ne vois pas. Oui tu as raison on a jamais eu de chance et c'est dur de se faire une raison.
La vie n'est facile pour personne, chacun a ses boulets et ses bons moments. Je n'ai plus envie de me taper la tête comme il y a 20 ans et je me rends compte que je recommence comme toi. Alors un peu de calme malgré la révolte qui nous habite. Je te l'accorde : plus facile à dire qu'à faire. Je crois que mon destin me fout plus souvent le cafard que je veux me l'avouer et j'ai le sentiment d'être passé à côté de quelqu'un à défaut d'être avec ? Devine qui ? Je t'embrasse. Seb. » Heureux l'homme qui peut aimer sans être fou d'aimer. Je crois que c'est de Victor Hugo.
Un mois s'est écoulé depuis nos premiers mails et j'ai le sentiment que tout ça ne nous amènera rien de bon au final. Nous allons souffrir comme par le passé... Qu'est-ce que j'espérais quand je t'ai écrit le 3 avril ? que tout serait simple ?